La France n'a pas, comme l'ont fait d'autres pays, notamment la Grande Bretagne, et comme le code des pensions militaires d'invalidité et le code des pensions civiles et militaires de retraite auraient pu l'autoriser à le faire, supprimé totalement les pensions dues aux anciens combattants des pays issus de la décolonisation. Elles les a cependant remplacées par des indemnités forfaitaires dont elle a gelé le taux.

Pour ce qui concerne les anciens Travailleurs Indochinois, seules les pensions d'invalidité sont concernées puisqu'ils ne bénéficiaient pas des autres n'étant pas militaires.


En effet, les articles 170 de la loi de finances pour 1959, pour l'Indochine, et 71 de la loi de finances pour 1960, pour les autres pays, ont " cristallisé " ces pensions au taux en vigueur au jour de l'indépendance des États en question.

Est concernée en premier lieu la retraite du combattant dont bénéficient, à l'âge de 65 ans, les titulaires de la carte du combattant, cette carte étant accordée à toutes les personnes ayant servi pendant 90 jours dans une unité combattante. Il s'agit également des pensions militaires d'invalidité accordées aux militaires et aux victimes civiles de la guerre. Sont concernées également les pensions militaires de retraite accordées à toute personne ayant servi pendant quinze ans dans une unité de l'armée française. Il s'agit enfin des sommes versées au titre des décorations.

Outre le gel du montant des pensions, la cristallisation implique l'impossibilité d'ouverture de nouveaux droits, qu'il s'agisse des aggravations d'invalidité ou des pensions de réversion ou même du droit à la retraite du combattant pour une personne qui n'aurait pas atteint, à la date de la cristallisation, l'âge d'attribution de la pension.

Certes, les textes opérant cette cristallisation ont réservé au pouvoir réglementaire la liberté de décider des revalorisations discrétionnaires. Mais celles-ci ont été rares et peu importantes, la dernière en date remontant à 1995. Par ailleurs de nouveaux droits ont été périodiquement réouverts, la dernière fois en 1996.

Le niveau actuel des pensions servies aux anciens combattants d'outre-mer reste donc très faible et très disparate d'un pays à l'autre, leur montant dépendant, d'une part, de la date d'indépendance de chaque pays, et d'autre part, de revalorisations accordées de manière non uniforme.

La retraite du combattant s'élève ainsi annuellement à 103,62 F au Vietnam, 318,14 F au Maroc, 377 F en Guinée et 1318 F à Djibouti, pour un montant de 2600 F en France.

Les mêmes écarts se retrouvent pour les autres pensions d'invalidité ou de retraite, comme il ressort du tableau suivant :

 

Montant annuel des pensions cristallisées

 

 


Retraite du
combattant

Pensions militaires
d'invalidité
(invalides à 100%
grands mutilés)

Pensions militaires
de retraite

moyenne homme du rang et sous-officiers subalternes plus de 15 ans

France

2 600 F

81 460 F

40 905 F

Cambodge
Laos - Vietnam

104 F

3 140 F

1 020 F

Maroc - Tunisie

318 F

8 900 F

2 452 F

Algérie

370 F

10 340 F

3 183 F

Guinée

377 F

14 750 F

2 904 F

Cameroun
Mali - Togo

560 F

21 910 F

4 313 F

Bénin
Côte d'Ivoire - Burkina - Niger
Mauritanie


574 F


22 470 F


5 007 F

Madagascar

798 F

26 660 F

8 929 F

Congo

838 F

27 750 F

9 382 F

Centrafrique
Gabon - Tchad


1059 F


29 610 F


12 054 F

Sénégal

1146 F

32 040 F

13 042 F

Comores

1152 F

32 220 F

14 108 F

Djibouti

1318 F

51 610 F

17 217 F

D'après le ministère des anciens combattants, le pouvoir d'achat de ces pensions dans leur pays d'attribution serait cependant souvent supérieur à celui des pensions de droit commun en France. Mais il lui serait inférieur de 20 à 30% au Maroc et en Tunisie. Dans ces derniers pays, une pension de retraite d'un sous-officier subalterne ayant plus de quinze ans d'ancienneté ne dépasse pas en moyenne 204 F par mois, une pension de grand invalide, 742 F par mois, et la pension de retraite du combattant 26,50 F par mois.

L'argument souvent avancé selon lequel une revalorisation du taux des pensions déstabiliserait les économies des pays concernés ne tient pas si l'on considère que les personnes ayant travaillé pour des entreprises privées bénéficient de pensions de retraite et d'accident du travail au même taux que les Français.

Les titulaires de la carte du combattant ont, en application du 6° de l'article 15 de l'ordonnance de 1945, droit à un titre de séjour en France. De nombreux marocains, titulaires de cette carte, résident actuellement de manière régulière à Bordeaux, où ils bénéficient du RMI ou du minimum vieillesse, d'un montant bien supérieur au niveau des pensions auxquelles ils ont droit. Ils envoient l'essentiel de leurs ressources à leur famille au Maroc, vivant eux-mêmes dans des conditions extrêmement précaires. Cette situation n'est pas admissible.

De surcroît, la cristallisation semble être juridiquement fragilisée. En 1989, le comité des droits de l'Homme des Nations Unies a estimé que le tarif des pensions cristallisées devait être aligné sur celui applicable aux nationaux français. Dans un avis d'assemblée en date du 2 mai 1996, le Conseil d'Etat, dans l'affaire Dame Doukouré, a considéré, contre l'avis du commissaire du Gouvernement, que cette question ne relevait pas de la catégorie des droits protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Afin de contester cette interprétation du pacte, une requête a été déposée devant le Comité des droits de l'Homme de L'ONU. Le Conseil d'Etat a jusqu'à présent admis la validité du gel des taux mais a refusé d'admettre la forclusion des nouveaux droits.